LE SALTON SEA
La scène se passe en 2009, dans le sud de la Californie. En apercevant au loin le lac Salton Sea au volant de ma voiture, je suis hypnotisé par la beauté de magnifiques dunes blanchâtres et d’intenses reflets lumineux sur le lac, qui me laissent croire que j’ai atteint un oasis où je vais enfin étancher ma soif et trouver le repos. Mais à peine sorti du véhicule, je suis saisie par une odeur pestilentielle, l’air putride et saturé de sel me pénètre dans la bouche jusqu’au dégoût. L’illusion tombe : les dunes de sable blanc sont en réalité des amoncellements d’arêtes de poisson et les cadavres de poissons décomposés sont à l’origine de l’odeur répugnante. Si ce lac conserve l’illusion d’un paysage de carte postale, avec des plages de sable fin et une eau turquoise, j’apprendrai qu’il est en réalité aujourd’hui sinistré, dans un environnement désertique et aride, gorgé de sel et de pesticides.
Un bref historique permet de mieux comprendre l’évolution du plus grand lac de Californie. Le Salton Sea est créé suite à une importante crue du fleuve Colorado en 1891. La région est alors colonisée pour l’agriculture et d’importants travaux d’irrigation sont entrepris. Mais en 1906 une nouvelle crue du Colorado provoque une catastrophe, l’eau se déverse par les canaux d’irrigation pendant plusieurs mois dans la plaine Salton, noyant fermes et habitations : elle recouvre ainsi environ 1 000 km2 de désert, créant une mer intérieure ; comme cela avait déjà été le cas il y a des millénaires. Le lac s’assèche ensuite au cours du 20ème siècle à cause de l’évaporation (la température moyenne est de 45°C). Mais dans le même temps, les agriculteurs dont les cultures d’agrumes se déploient sur 2000 km2 au sud du lac, en font la décharge de leur système d’irrigation : les terres agricoles étant salines (du fait de l’ancienne mer millénaire), pour les rendre cultivables, ils lavent abondamment le sol arable pour en extraire le sel, qui s’écoule ensuite dans le lac par les eaux de ruissellement ; entrainant également les engrais et de pesticides. Le taux de salinité devient alors supérieur à celui de l’océan Pacifique. Avec l’évaporation, les pollutions agricoles s’accumulent et engendrent un désastre écologique.
J’ai débuté ce projet photographique avec l’intention de témoigner des modifications considérables du site en quelques années. Mais plus qu’un point de vue documentaire, j’ai voulu porter mon regard de photographe plasticienne. J’ai ainsi organisé l’exposition en deux parties pour permettre aux visiteurs de vivre mon expérience de découverte du Salton Sea. La première partie est constituée d’images du lac, oniriques et lunaires, aux couleurs suaves et pastelles ; tandis que la seconde montre les vestiges d’un complexe touristique antérieur à la déchéance du lieu : un quai maritime cristallisé de sel, des poteaux électriques décharnés, une corde de pendu nouée sur un portique de balançoire transformé en gibet de potence. D’autres photographies sont hantées par des personnages et des trains fantômes figés dans le désert, ou révélant la silhouette d’un monstre de métal déblayant les dunes d’un cimetière de poissons.
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